Marceline Desbordes-Valmore - Poèmes choisis
dim. 10 août
|Paris
Heure et lieu
10 août 2025, 17:00
Paris, France
À propos de l'événement
Marceline Desbordes-Valmore (1786 Douai -1859 Paris)
La couronne effeuillée
J'irai, j'irai porter ma couronne effeuillée Au jardin de mon père où revit toute fleur ; J'y répandrai longtemps mon âme agenouillée : Mon père a des secrets pour vaincre la douleur. J'irai, j'irai lui dire, au moins avec mes larmes : "Regardez, j'ai souffert ... " il me regardera, Et sous mes jours changés, sous mes pâleurs sans charmes, Parce qu'il est mon père il me reconnaîtra. Il dira : "C'est donc vous, chère âme désolée La terre manque-t-elle à vos pas égarés ? Chère âme, je suis Dieu : ne soyez plus troublée ; Voici votre maison, voici mon coeur, entrez ! " Ô clémence ! ô douceur ! ô saint refuge ! ô père ! Votre enfant qui pleurait vous l'avez entendu ! Je vous obtiens déjà puisque je vous espère Et que vous possédez tout ce que j'ai perdu. Vous ne rejetez pas la fleur qui n'est plus belle ; Ce crime de la terre au ciel est pardonné. Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle, Non d'avoir rien vendu, mais d'avoir tout donné.
Il avait dit un jour- Élégies (1830)Il avait dit un jour : « Que ne puis-je auprès d'elle, ( Elle, alors, c'était moi ! ) que ne puis-je chercher Ce bonheur entrevu qu'elle veut me cacher ! Son cœur paraît si tendre ; oh ! s'il était fidèle ! » Puis, fixant ses regards sur mon front abattu, Du charme de ses yeux il m'accablait encore, Et ses yeux que j'adore Portaient jusqu'à mon cœur. « Je te parle, entends-tu ? » Trop bien ! A-t-il soumis mes plus chères années ? Je n'y trouve que lui ; rien ne me fut si cher : Et pourtant mes amours, mes heures fortunées, N'était-ce pas hier ? Que la vie est rapide et paresseuse ensemble ! Dans ma main, qui s'égare, et qui brûle, et qui tremble, Que sa coupe fragile est lente à se briser ! Ciel ! que j'y bois de pleurs avant de l'épuiser ! Mes inutiles jours tombent comme les feuilles Qu'un vent d'automne emporte en murmurant : Ce n'est plus toi qui les accueilles ; Qu'importe leur sort en mourant ? Eh bien ! que rien ne les arrête ; Je les donne au tombeau ; je m'y traîne à mon tour ; Et, comme on oublie une fête, Jeune encor, j'oublierai l'amour. Pour beaucoup d'avenir j'ai trop peu de courage ; Oui ! je le sens au poids de mes jours malheureux, Ma vie est un orage affreux Qui ne peut être un long orage.
Le berceau d'Hélène – Mélanges 1830Qu'a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ? Oh ! je le vois toujours ! j'y voudrais être encor ! Au milieu des parfums j'y dormais sans défense, Et le soleil sur lui versait des rayons d'or. Peut-être qu'à cette heure il colore les roses, Et que son doux reflet tremble dans le ruisseau. Viens couler à mes pieds, clair ruisseau qui l'arroses ; Sous tes flots transparents, montre-moi le berceau ; Viens, j'attends ta fraîcheur, j'appelle ton murmure ; J'écoute, réponds-moi ! Sur tes bords, où les fleurs se fanent sans culture, Les fleurs ont besoin d'eau, mon cœur sèche sans toi. Viens, viens me rappeler, dans ta course limpide, Mes jeux, mes premiers jeux, si chers, si décevants, Des compagnes d'Hélène un souvenir rapide, Et leurs rires lointains, faibles jouets des vents. Si tu veux caresser mon oreille attentive, N'as-tu pas quelquefois, en poursuivant ton cours, Lorsqu'elles vont s'asseoir et causer sur ta rive, N'as-tu pas entendu mon nom dans leurs discours ? Sur les roses peut-être une abeille s'élance : Je voudrais être abeille et mourir dans les fleurs, Ou le petit oiseau dont le nid s'y balance : Il chante, elle est heureuse, et j'ai connu les pleurs. Je ne pleurais jamais sous sa voûte embaumée ; Une jeune Espérance y dansait sur mes pas : Elle venait du ciel, dont l'enfance est aimée ; Je dansais avec elle ; oh ! je ne pleurais pas ! Elle m'avait donné son prisme, don fragile ! J'ai regardé la vie à travers ses couleurs. Que la vie était belle ! et, dans son vol agile, Que ma jeune Espérance y répandait de fleurs ! Qu'il était beau l'ombrage où j'entendais les muses Me révéler tout bas leurs promesses confuses ; Où j'osais leur répondre, et de ma faible voix, Bégayer le serment de suivre un jour leurs lois ! D'un souvenir si doux l'erreur évanouie Laisse au fond de mon âme un long étonnement. C'est une belle aurore à peine épanouie Qui meurt dans un nuage ; et je dis tristement : Qu'a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ? Oh ! j'en parle toujours ! j'y voudrais être encor ! Au milieu des parfums j'y dormais sans défense, Et le soleil sur lui versait des rayons d'or. Mais au fond du tableau, cherchant des yeux sa proie, J'ai vu... je vois encor s'avancer le Malheur. Il errait comme une ombre, il attristait ma joie Sous les traits d'un vieux oiseleur ; Et le vieux oiseleur, patiemment avide, Aux pièges, avant l'aube, attendait les oiseaux ; Et le soir il comptait, avec un ris perfide, Ses petits prisonniers tremblants sous les réseaux. Est-il toujours bien cruel, bien barbare, Bien sourd à la prière ? et, dans sa main avare, Plutôt que de l'ouvrir, Presse-t-il sa victime à la faire mourir ? Ah ! Du moins, comme alors, puisse une jeune fille Courir, en frappant l'air d'une tendre clameur, Renvoyer dans les cieux la chantante famille, Et tromper le méchant qui faisait le dormeur ! Dieu ! quand on le trompait, quelle était sa colère ! Il fallait fuir : des pleurs ne lui suffisaient pas ; Ou, d'une pitié feinte exigeant le salaire, Il pardonnait tout haut, il maudissait tout bas. Au pied d'un vieux rempart, une antique chaumière Lui servait de réduit ; Il allait s'y cacher tout seul et sans lumière, Comme l'oiseau de nuit. Un soir, en traversant l'église abandonnée, Sa voix nomma la Mort. Que sa voix me fit peur ! Je m'envolai tremblante au seuil où j'étais née, Et j'entendis l'écho rire avec le trompeur. « Dis, qu'est-ce que la Mort ? » demandai-je à ma mère. « — C'est un vieux oiseleur qui menace toujours. Tout tombe dans ses rets, ma fille, et les beaux jours S'éteignent sous ses doigts comme un souffle éphémère. » Je demeurai pensive et triste sur son sein. Depuis, j'allai m'asseoir aux tombes délaissées : Leur tranquille silence éveillait mes pensées ; Y cueillir une fleur me semblait un larcin. L'aquilon m'effrayait de ses soupirs funèbres. La voix, toujours la voix, m'annonçait le Malheur ; Et quand je l'entendais passer dans les ténèbres, Je disais : « C'est la Mort, ou le vieux oiseleur. » Mais tout change : l'autan fait place aux vents propices, La nuit fait place au jour ; La verdure, au printemps, couvre les précipices, Et l'hirondelle heureuse y chante son retour : Je revis le berceau, le soleil et les roses ; Ruisseau, tu m'appelais, je m'élançai vers toi : Je t'appelle à mon tour, clair ruisseau qui l'arroses ; J'écoute, réponds-moi ! Qu'a-t-on fait du bocage où rêva mon enfance ? Oh ! je le vois toujours ! j'y voudrais être encor ! Au milieu des parfums j'y dormais sans défense, Et le soleil sur lui versait des rayons d'or !