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PAUL ÉLUARD

La courbe de tes yeux


La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

**

*


AMOUREUSES


Elles ont les épaules hautes

Et l'air malin

Ou bien des mines qui déroutent

La confiance est dans la poitrine

A la hauteur où l'aube de leurs seins se lève

Pour dévêtir la nuit

Des yeux à casser les cailloux

Des sourires sans y penser

Pour chaque rêve

Des rafales de cris de neige

Des lacs de nudité

Et des ombres déracinées.

Il faut les croire sur baiser
Et sur parole et sur regard
Et ne baiser que leurs baisers

Je ne montre que ton visage

Les grands orages de ta gorge

Tout ce que je connais et tout ce que j'ignore

Mon amour ton amour ton amour ton amour.


**

*


A PABLO PICASSO


Bonne journée j'ai revu qui je n'oublie pas

Qui je n'oublierai jamais

Et des femmes fugaces dont les yeux

Me faisaient une haie d'honneur

Elles s'enveloppèrent dans leurs sourires

Bonne journée j'ai vu mes amis sans soucis

Les hommes ne pesaient pas lourd

Un qui passait

Son ombre changée en souris

Fuyait dans le ruisseau

J'ai vu le ciel très grand

Le beau regard des gens privés de tout

Plage distante où personne n'aborde

Bonne journée qui commença mélancolique
Noire sous les arbres verts

Mais qui soudain trempée d'aurore
M'entra dans le cœur par surprise.







A PERTE DE VUE DANS LE SENS DE MON CORPS


Tous les arbres toutes leurs branches toutes leurs

feuilles
L'herbe à la base les rochers et les maisons en masse
Au loin la mer que ton œil baigne

Ces images d'un jour après l'autre
Les vices les vertus tellement imparfaits

La transparence des passants dans les rues de

hasard
Et les passantes exhalées par tes recherches obstinées
Tes idées fixes au cœur de plomb aux lèvres vierges
Les vices les vertus tellement imparfaits
La ressemblance des regards de permission avec les

yeux que tu conquis
La confusion des corps des lassitudes des ardeurs
L'imitation des mots des attitudes des idées
Les vices les vertus tellement imparfaits

Paul ELUARD: Texte
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