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GÉRARD DE NERVAL

LA TETE ARMÉE


Napoléon mourant vit une Tête armée…
Il pensait a son fils déjà faible et souffrant :
La Tête, c’était donc sa France bien-aimée.
Décapitée, aux pieds du César expirant.

Dieu, qui jugeait cet homme et cette renommée,
Rappela Jésus-Christ ; mais l’abîme, s’ouvrant.
Ne lui rendit qu’un souffle, un spectre de fumée :
Le demi-dieu, vaincu, se releva plus grand.

Alors on vit sortir du fond du purgatoire
Un jeune homme inondé des pleurs de la Victoire,
Qui tendit sa main pure aux monarques des cieux ;

Frappés au flanc tous deux par un double mystère ;
L’un répandait son sang pour féconder la terre.
L’autre versait au ciel la semence des dieux !




Vers dorés

Les chimères (1854).


Eh quoi ! tout est sensible !
Pythagore.


Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ?
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l'univers est absent.

Respecte dans la bête un esprit agissant :
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère d'amour dans le métal repose ;
« Tout est sensible ! » Et tout sur ton être est puissant.

Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t'épie :
À la matière même un verbe est attaché...
Ne le fais pas servir à quelque usage impie !

Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres !




Delfica

Les chimères (1854).


La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance,
Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
Sous l'olivier, le myrthe ou les saules tremblants,
Cette chanson d'amour... qui toujours recommence !

Reconnais-tu le Temple, au péristyle immense,
Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents ?
Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,
Où du dragon vaincu dort l'antique semence.

Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours !
Le temps va ramener l'ordre des anciens jours ;
La terre a tressailli d'un souffle prophétique...

Cependant la sibylle au visage latin
Est endormie encor sous l'arc de Constantin :
— Et rien n'a dérangé le sévère portique.







À Madame Sand

Recueil : Les chimères (1854).


« Ce roc voûté par art, chef-d'œuvre d'un autre âge,
Ce roc de Tarascon hébergeait autrefois
Les géants descendus des montagnes de Foix,
Dont tant d'os excessifs rendent sûr témoignage. »

Ô seigneur Du Bartas , je suis de ton lignage,
Moi qui soude mon vers à ton vers d'autrefois :
Mais les frais descendants des vieux comtes de Foix
Ont besoin de témoins pour parler dans notre âge.

J'ai passé près Salzbourg sous des rochers tremblants ;
La cigogne d'Autriche y nourrit les milans.
Barberousse et Richard ont sacré ce refuge.

La neige règne au front de leurs pics infranchis,
Et ce sont, m'a-t-on dit, les ossements blanchis
Des anciens monts rongés par la mer du déluge.






El desdichado

Les chimères (1854).


Je suis le ténébreux, — le veuf, — l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la syrène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.





À Hélène de Mecklembourg

Les chimères (1854).


Le vieux palais attend la princesse saxonne
Qui des derniers Capets veut sauver les enfants ;
Charlemagne, attentif à ses pas triomphants,
Crie à Napoléon que Charles-Quint pardonne.

Mais deux rois à la grille attendent en personne ;
Quel est le souvenir qui les tient si tremblants
Que l'aïeul aux yeux morts s'en retourne à pas lents,
Dédaignant de frapper ces pêcheurs de couronne ?

Ô Médicis ! les temps seraient-ils accomplis ?
Tes trois fils sont rentrés dans ta robe aux grands plis ;
Mais il en reste un seul qui s'attache à ta mante.

C'est un aiglon tout faible, oublié par hasard ;
Il rapporte la foudre à son père César...
Et c'est lui qui dans l'air amassait la tourmente.

De NERVAL: Texte
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