
TOUFIK ABOU HAYDAR
POÈMES CHOISIS
Dans l’espoir de marcher sur les pas de Sartre et Camus, fier de ma note en philosophie (48/60) au Bac, je quitte le Liban en 1983 pour m’installer à Paris. Cependant, c’est vers les études cinématographiques, ma passion de toujours, que mon cœur va pencher, tandis que ma carrière va se bâtir par la suite dans le domaine de la presse et de la photographie, et ce pendant de longues années.
Les circonstances de la vie vont me conduire un jour à devenir Taxi de nuit, avant de me permettre dans la foulée de fonder ma propre entreprise dans ce domaine et renoncer définitivement au volant, la chose qui me déplaît le plus au monde. Cette expérience m’a d’ailleurs permis de devenir le rédacteur en chef de « Taxi Paname », un mensuel tiré à 20.000 exemplaires, et m’a poussé à l’écriture de mes mémoires intitulées « Confidences passagères », publiées aux éditions Max Milo en 2015.
En 2019, les éditions « Le Laboratoire Existentiel » publient mon dernier roman, « Les Villages Verticaux (Prix Grain de Sel 2020). Le titre de cet ouvrage fait référence à la capitale libanaise, Beyrouth, où les immeubles s’élèvent comme dans une jungle de ciment, et dont chacun abrite entre ses murs autant de familles que dans un village.
Depuis de nombreuses années à présent, je me consacre entièrement à l’écriture et aux activités culturelles. Ma bibliographie compte huit parutions au total, quatre romans et récits, et quatre recueils de poésie, l’ensemble divisé à parts égales en arabe littéraire et en français.
Toufik ABOU HAYDAR
poèmes choisis
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LE REPENTANT
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Je retourne à tes yeux, et mon âme s’incline
Pour gommer ce faux pas qui m’éloignait de toi
Puis, silencieux, j’invoque ta douce poitrine
À l’instar d’un athée qui retourne à sa foi
Je retourne tel un nouveau-né qui réclame
Le sein de sa maman afin qu’il s’y agrafe
Un oiseau migrateur, assoiffé, et dont l’âme
Cours après l’eau pouvant lui étancher sa soif !
Alors que je m’étais éloigné, je reviens
Demander à ton corps le gîte et le couvert
La table, bien dressée, les mets, le pain, le vin
La terre salvatrice et la douce atmosphère
Viens donc à mes côtés, que nos âmes s’éveillent
Que l’amour nous enferme, à nouveau, dans sa tour
Puisque c’est vers tes nuits que conduit mon sommeil
Et c’est vers ton réveil, que conduisent mes jours
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SÉPARATIONS
Avec l’éclat de la douceur
Elle éclairait mes nuits
Elle y mettrait de la couleur
Faisait de moi le grand seigneur
De son récit
Un jour, une forte pluie
Est tombée sur la vie
Tous les joueurs
Joueurs et spectateurs
En hâte, sont partis…
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MILLÉSIME
Vignes divines
Grappes fruitées
Vin velouté
Un très bon millésime
Coupes luisantes
Futailles jaillissantes
Et ta cuisine :
Tes reins et ta poitrine
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LE MUR
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Vais-je pouvoir un jour, la prendre par le bras
La prendre dans mes bras, pour lui montrer mes nuits
Et lui faire savoir, comment, de sous les draps
L’on peut toucher l’étoile sans bouger du lit ?
Vais-je pouvoir, ô ciel, convaincre, un jour, le sort
Pour la faire passer, docile, par mes vœux
Pour qu’elle puisse voir, mon ciel laquer son corps
Et ma lune pleuvoir des cordes dans ses yeux ?
Ô comme j’aimerais faire céder ce mur
Qui se dresse entre nous, muet, ferme et cruel
Pour que je puisse enfin toucher sa chevelure
Ses cheveux couleur d’or, et puis mourir pour elle !
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MIEL PERLÉ
Là où l’esprit fleuri de l’aube
Est miel perlé
La fleur ne pense qu’à ta robe
Ta peau miellée
Là où la teinte du matin
Est sable-bleu
Et l’horizon est cristallin
Pleuvent, tes yeux
Puis là où l’oiseau est choyé
Le champs, docile
La plume s’amuse à copier
L’art de tes cils
Et là où coule un vin divin
Un vin propice
Ma bouche prie pour prendre un bain
Dans ton calice
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LA ROSE
Un tas de fleurs
Frôlent le cœur
Lui tournent autour
Puis déclinent, font demi-tour
Seule, une seule
Rose d’entre elles
Pénètre un jour
Et s’y installe pour toujours
Toi, la rose qui peint les choses
Les choses de nos vies
De mille nuances de rose
Rose assouvi !
Doux est le bruit de ta présence
Belle est la joie de tes nuances
Béni soit-il, le concepteur
De ta douceur !
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L’Étranger qui Court Après la Lune
(Éd. Al Hadathah – Beyrouth 1997)
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Poème n° 1
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Je suis issu d’une plaine étirée
Entre deux montagnes
Épurées et étagées
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Un arbre d’aubépine
Est devenu mon ange-gardien
D’autrefois
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Que la cruche en argile cuite
Surgisse du passé
Et que son eau ramène à la vie
Toutes les fleurs de Jéricho*
Que j’ai omis d’aimer
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Je soupçonne le balayeur
Du petit matin
De labourer les rues de la ville
Pour faire pousser des palabres évasives
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* La Fleur de Jéricho est l’un des rares organismes vivants capables de revenir à la vie après la mort une fois que la pluie abondante
est de retour
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Poème n° 2
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Chaque diverticule
De l’astre qui veille sur sa chevelure
Est parée d’un parfum azuré
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Notes subtiles :
Sur un fabuleux destrier
D’une blancheur indiscutable
Il traverserait ses messes
Immaculées
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Ses vœux brûlent d’impatience
De voir l’être aimé dont le visage
Incarne une onde infuse
Se pointer
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Une belle tisseuse de prières bleues
Et solennelles
Duplique de manière affable
Son souhait le plus ardent
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Peut-être qu’il surgira devant elle
Celui dont la voix danse avec
Une brindille édulcorée
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Poème n° 3
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Certaines pleines lunes avérées
Éveillent les figuiers dormants
De l’arrière-cour
De mes rêveries
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Le thym sauvage
Trouve toujours son chemin
Dans mes pensées
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J’emprunte à la Seine du centre-ville
Les danses virevoltantes
Des mouettes urbaines
Pour composer mes vers
Moi le poète du bitume
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L’éloignement est un exploit sinueux
Le retour au pays natal
Est une soupe aux cailloux
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Mes récits voltigeurs
N’intéressent en aucun cas
Les facteurs
Qui ne savent pas lire dans la percolation
Laissée par le marc de café
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Poème n° 4
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Dans ma poche se trouve
Une lampe torche
Je pointe la noirceur des mots
Pour permettre au cerf traqué
De s’évader
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Sur le mur de ma chambre
S’étend une voix veloutée
Les chansons de Fayrouz
La nostalgie est un calendrier
Dont les dates défilent en vrac
Et à l’envers
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L’étranger qui court après la lune
Est inconscient de sa propre essence
Ignore qu’il est fait
De sable brun pétri de silence
Un silence bleu verdâtre
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À L’OUEST DE L’HORLOGE
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Combien de fois as-tu pressenti le
mirage cotonneux rouler ton rêve dans la farine ?
Pour que tu sois utile à la vie mouvante : ne te
déplace jamais en laissant le crâne se faire happer
par la sphère céleste. Ce n’est qu’une fois allongé
sur une structure terreuse et étale que tu pourras
parapher ton psaume. Laisse à tes pas de te décrire
l’aspect grillagé de ton ombre. Baruch Spinoza
croit savoir que Dieu n’attend plus rien de nous.
En ce qui me concerne : c’est aux abords du
Nord magnétique de la boussole que le ventre
de ma mère a décidé de m’offrir à la vie. Cependant :
j’ai toujours vécu à l’ouest de l’horloge afin de
gérer au mieux les couchers du soleil.
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SENTENCES EN VRAC ET
AUTRES RÉFLEXIONS SUBSIDIAIRES
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– 1 –
Sois toujours un mot fleuri et digne de louanges
car au commencement était le verbe.
Les farandoles de l’existence n’attendent pas les
retardataires. Le gris du ciel n’affecte en rien
le rêve en fleurs des oiseaux migrateurs. La
brise bleue n’en a que faire du vent mauvais
et des vagues salines. Je suis celui qui dit
ceci : ta loyauté envers une personne n’a plus lieu
d’être lorsque la personne en question tourne
le dos à ta loyauté.
– 2 –
Ta venue au monde s’effeuille à travers tes
échéances. Ne sois jamais l’ange déchu de
l’âpreté. L’ombre de tes pas n’est là que pour
griffonner le chemin de tes souvenirs. Sur
l’un des murs de la dysphasie s’affale le
silence de tes choix non actés. Puise
seulement le sel de ta vie dans l’eau dont
la couleur est d’un bleu épuré.
– 3 –
Seul l’immense Endormissement a le don
de gommer les stigmates du vacarme.
Tisse ta toile à usage unique aux abords
d’un plafond solide comme un roc.
Éloigne-toi de toute apparence migraineuse.